Né à New-York, Bob Rafelson quitte sa famille à l'âge de 15 ans pour participer à des rodéos, puis abandonne un temps son pays pour l'Europe et le Japon, où il travaille tour à tour sur un paquebot puis en tant que disc-jockey à Tokyo. Quelques décennies plus tard, c'est également sur un bateau que partiront d'ailleurs se réfugier les protagonistes de son film Blood and Wine (1996). De retour en Amérique à 18 ans, il poursuit son aventure en devenant batteur dans un orchestre de jazz mexicain puis part étudier la philosophie au Darmouth College. Son service militaire accompli, il termine ses études de philosophie puis devient critique de cinéma. Bientôt, il se fixe à la télévision comme conseiller au scénario pour les besoins de l'émission de David Susskind "Play on the Week". S?ensuit en 1966 la création de l'émission "The Monkees", pour laquelle il reçoit l'Emmy de la Meilleure série comique.
Précurseur du Nouvel Hollywood, le jeune réalisateur engendre alors dès le début de sa carrière une influence considérable sur le cinéma américain. Il fait rapidement partie de ces grands noms qui permettent au cinéma indépendant de déborder sur la machine hollywoodienne, facilitant ainsi la distribution de films qui jusqu'alors restaient dans l'ombre. Evolution notable : l'introduction de musiques populaires des années 1960-70 au sein des bandes originales des longs métrages. En témoigne la transposition sur grand écran de son émission "The Monkees". Sous le nom de Head (1968), le film relate les aventures comico-psychédéliques du groupe pop-rock The Monkees, en s'inspirant de Au secours ! (1965) réalisé par Richard Lester. Au scénario, un acteur encore inconnu qu'il recroisera par la suite à bien des reprises : son ami Jack Nicholson.
En compagnie des quatre membres du groupe, munis d'un magnétophone ainsi que d'une quantité de produits illicites, ils enregistrent toutes les idées passant dans leurs têtes embrumées. Résultat : un collage surréaliste parodiant à peu près tout ce que le cinéma américain compte de genres. Déroutant même les fans du groupe, le film est accueilli avec fébrilité aussi bien par la critique que le public. En 1969, Bob Rafelson co-fonde avec Bert Schneider la société de production BBS et place Jack Nicholson au casting d'Easy Rider, manifeste libertaire de Dennis Hopper dont il est le producteur. Contre toute attente, le film devient en peu de temps l'emblème de la contre-culture américaine et du Nouvel Hollywood. A noter que le directeur de la photographie Laszlo Kovacs, à l'origine de cette lumière si particulière dans Easy Rider, est choisi par Rafelson pour quelques-uns de ses films suivants.
Il faut attendre 1971 et sa seconde réalisation Cinq pièces faciles pour que Rafelson connaisse sa première reconnaissance publique. Récit autobiographique et flânerie emblématique de la jeune garde hollywoodienne, le film ne démontre ni ne raconte rien, sinon l'errance de protagonistes en proie à un vide existentiel dont ils ne semblent pas avoir conscience. Célébré par la critique, le succès public est au rendez-vous. L''occasion aussi pour Jack Nicholson de connaître le premier rôle majeur de sa carrière. On ne change pas une équipe qui gagne : l'année suivante, l'acteur rempile avec le réalisateur pour le tournage de The King of Marvin Gardens (1972). Vidé de tout ce qui pourrait le rattacher à un genre, le film est certainement l'?uvre de Rafelson la plus radicale. Le cinéaste y rejetant toute trace de spectacle, en découle une presque totale absence de progression narrative, amenant à tort la critique comme le public à bouder le film.
Après avoir produit quelques films notables comme La Dernière séance (1971), de Peter Bogdanovich et La Maman et la Putain (1973), de Jean Eustache, il réalise en 1976 Stay Hungry, long métrage bodybuildé porté par les acteurs Jeff Bridges et, pour son premier rôle d'importance, Arnold Schwarzenegger. Le comédien autrichien y remporte pour l'occasion le Golden Globe du Meilleur acteur débutant. Sport, romance, comédie, on ne sait une fois encore pas dans quelle case ranger la chose. En 1981, sort dans les salles obscures Le Facteur sonne toujours deux fois, où Rafelson retrouve Jack Nicholson, accompagné de Jessica Lange. Il s?agit du remake du film éponyme mis en scène par Tay Garnett, lui-même adapté d'un classique de la littérature écrit par James M. Cain. Cette fois-ci, la plongée dans le film noir est franche.
A la différence de la première adaptation du Facteur sonne toujours deux fois, le couple est ici animé d'une attirance aussi bien sentimentale que sexuelle. Une attraction que le scénariste David Mamet souligne d'ailleurs par l'intégration de scènes érotiques particulièrement osées pour l'époque, et ce d'autant plus pour un casting de cette envergure. Bob Rafelson va par la suite explorer différents registres parmi lesquels le thriller, avec La Veuve noire (1986) ou encore le film d'aventure avec Aux sources du Nil. Pour sa quatrième collaboration avec Jack Nicholson, il réalise ensuite la comédie romantique Man Trouble (1992). La mauvaise réception de ce dernier marque alors le déclin de la carrière du cinéaste, qui tourne par la suite principalement des téléfilms et quelques épisodes d'une série érotique.
Il surprend toutefois en 1996 pour ses ultimes retrouvailles avec l'histrion de Shining en retournant avec Blood and Wine (1996) à son genre de prédilection. Dans la même veine que The King of Marvin Gardens (1972), qui tournait déjà autour d'une relation entre frères, et surtout de Cinq pièces faciles (1971), le film traite des liens père-fils. Une ?uvre trans-genre (policier et intimiste) qui sonne, près de 25 ans plus tard, comme la clôture d'une trilogie sur les rapports conflictuels. Entre retenue et cabotinage, Nicholson, le fils d'hier, y est cette fois-ci promu à la fonction paternelle. Six ans plus tard, le metteur en scène signe un autre film policier, Sans motif apparent (2002), réunissant une brochette de stars parmi lesquelles Samuel L. Jackson, Milla Jovovich et Stellan Skarsgard.
Auteur : Alexandre Jourdain
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