Élève turbulent, Jacques Becker préfère découvrir les films muets dans les salles des Grands-Boulevards plutôt que d'aller au lycée. Adolescent, il fait la connaissance de son aîné Jean Renoir par l'intermédiaire de la famille Cézanne, avec qui lui et ses parents passent des vacances. Embauché comme commissaire de bord sur un bateau, il côtoie lors d'une croisière le réalisateur King Vidor qui lui propose de jouer dans son prochain film. Lui préfère être engagé comme assistant, mais son père refuse et décide de l'embaucher au sein de Fulmen, la société d'accumulateurs dont il est administrateur.
Ayant quitté en 1932 cet emploi qui ne le passionne guère, Jacques Becker devient la même année assistant de Renoir sur La Nuit du carrefour, qui marque le début d'une longue collaboration (Les Bas-Fonds, La Grande illusion...). Figurant dans Boudu sauvé des eaux, il co-réalisera en 1936 avec lui La Vie est à nous, film tourné à l'initiative du PCF. Auparavant, il réalise en 1935 un moyen métrage inspiré de Courteline (co-signé par Pierre Prévert) et "Une tête qui rapporte", un court métrage tombé dans l'oubli. A la même époque, un projet de long métrage intitulé "Sur la cour" lui est destiné, mais il sera finalement tourné par Renoir sous le titre Le Crime de M. Lange. Nouveau faux départ en 1935 : il s'attelle au film d'aventures "L'Or de Cristobal", mais, faute de moyens suffisants, quitte le plateau avant la fin du tournage.
Le premier film que revendique Jean Becker est Dernier Atout, une comédie policière qui séduit la critique et le public. Il se lance ensuite dans l'adaptation d'un roman de Pierre Véry, Goupi Mains rouges, portrait sans complaisance d'une famille paysanne des Charentes. Grand Prix du cinéma français en 1943, le film obtient un vif succès. Le cinéaste, dont la mère, d'origine irlandaise, dirigea une maison de haute couture, dépeint l'univers de la mode dans Falbalas en 1945. Ce film sur les affres de la création témoigne de son sens du détail et de son talent à filmer les femmes -ici, Micheline Presle. Il enchaîne ensuite plusieurs comédies sentimentales : Antoine et Antoinette (Grand Prix d'honneur à Cannes en 1947), Rendez-vous de juillet (1949), sur la jeunesse germanopratine nourrie au jazz (une des grandes passions de Becker, pianiste doué) et Edouard et Caroline, avec Daniel Gélin et Anne Vernon, deux de ses acteurs fétiches -on les retrouvera l'un et l'autre dans Rue de l'Estrapade (1953).
Ne refusant pas la légèreté, et privilégiant des histoires contemporaines, Becker est l'un des rares cinéastes français de l'époque qui trouve grâce aux yeux des critiques Truffaut ou Rivette. En 1952, il tourne pourtant un drame dont l'action se situe à la Belle-époque : Casque d'or avec Simone Signoret et Serge Reggiani, amants passionnés sur fond de guerre de clans. A sa sortie, le film, depuis considéré comme le chef d'oeuvre de Becker, est un échec commercial. Désireux de renouer avec le succès, il tourne un film de gangsters inspiré d'un roman d'Albert Simonin, Touchez pas au grisbi (1954). Centré sur l'amitié qui unit deux truands, le film impressionne par son authenticité, aussi bien sur le plan social qu'humain. Jean Gabin, alors au creux de la vague, décroche le Prix d'interprétation à Venise, tandis que Lino Ventura fait ses débuts à l'écran. Le fils de Jacques Becker, Jean, y trouve son premier emploi de stagiaire.
La même année, le cinéaste tourne Ali Baba et les 40 voleurs, film familial dans lequel il n'a guère la possibilité d'imprimer sa marque. Souffrant de ne pas pouvoir réaliser des projets personnels, il accepter de s'atteler aux Aventures d'Arsène Lupin avec Robert Lamoureux en gentleman cambrioleur (1957). Il tourne ensuite Montparnasse 19, avec Gérard Philipe dans le rôle de Modigliani. C'est Max Ophuls qui devait réaliser ce film et qui, souffrant, avait renoncé et désigné Becker pour le remplacer. Il revient à un registre plus sombre avec son dernier long métrage, Le Trou, récit captivant et minutieux d'une évasion ratée, inspiré de faits réels. Alors marié à Françoise Fabian, Jacques Becker meurt pendant le montage du film, qui sera boudé par le public, mais célébré par la critique.
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