Née d'un père espagnol et d'une mère irlandaise, Margarita Carmen Cansino fait ses premiers pas d'enfant en dansant à leurs côtés au sein de la troupe familiale des "Dancing Cansino", fraichement débarquée aux États-Unis. Réservée et disciplinée, la petite fille porte, dès l'âge de quatre ans, les espoirs d'un père brillant mais despotique et violent, désireux de s?imposer dans le Hollywood des années 30 et de la comédie musicale. « Travailler, travailler, c'est le seul mot que j?ai entendu pendant mon enfance », confiera-t-elle plus tard. Huit ans après, la danseuse acharnée devenue professionnelle, est repérée sur scène par le directeur de la distribution de la Warner, Max Arno, qui bien que la jugeant trop ronde, lui permet de faire de la figuration dans quelques films mexicains. C?est grâce à une autre major, la Fox Film Corporation et à son vice président Winfield R. Sheehan séduit par sa sensualité et son allure, que "Rita" Cansino fera ses débuts au cinéma. Après un régime et quelques leçons de diction, elle est, à 17 ans, à l'affiche de L' Enfer aux côtés de Spencer Tracy et sous l'?il vigilant d'un père qui ne cesse d'exercer sa tyrannie.
La jeune actrice enchainera dans un premier temps les rôles de danseuses exotiques dans des films de séries B tels que Under the Pampas Moon ou Charlie Chan en Egypte (1935), avant d'être pressentie pour jouer les têtes d'affiche de Ramona, un des projets d'envergure de la future 20th Century Fox. Mais c'est sans compter son nouveau producteur en chef, Darryl F. Zanuck, qui loin de partager l'enthousiasme de Winfield Sheehan, lui préfère Loretta Young et met fin à son contrat. Bouleversée et amère, Rita s?abandonne aux bras de son premier amour, Edward C Judson, un homme d'affaires arriviste, nouvelle figure paternelle de 20 ans son ainé, qui la présente au patron de la Columbia Pictures, Harry Cohn. Avides et obsédés par la jeune femme, les deux hommes la façonneront tour à tour à leur gré, métamorphosant la brune latine peu assurée en la rousse flamboyante que l'on connait. A 19 ans, à l'affiche de Criminels de l'air (1937), Rita Cansino devient Rita Hayworth, du nom de jeune fille de sa mère.
A peine deux ans plus tard, c'est sous l'?il exigeant d'Howard Hawks qu'elle connaitra son premier vrai succès : un second rôle et plus précisément une scène d'ivresse dans Seuls les anges ont des ailes révèlent en effet ses talents de comédienne face aux stars que sont Cary Grant et Jean Arthur. Par la suite, la vedette remodelée fait honneur à son public sous la houlette de compagnies plus célèbres, à qui Harry Cohn la "prête" régulièrement volontiers : après le très glamour Suzanne et ses idées de George Cukor pour la MGM, elle s?impose dans la comédie musicale The Lady in question, sous la direction de Charles Vidor et aux côtés de Glenn Ford, deux hommes avec qui elle retravaillera de nombreuses fois. Enfin Raoul Walsh et la Warner Bros. pensent à elle pour remplacer Ann Sheridan dans La Blonde framboise (1941) aux côtés de James Cagney et Olivia de Havilland. C?est dans ce film que Rita Hayworth forgera, à force de fraicheur et de séduction, son image d'icône glamour. Son sens de la chorégraphie et sa gestuelle sensuelle séduisent en effet le tout Hollywood, de Rouben Mamoulian qui, pour ses Arènes sanglantes, l'impose à la Fox et à un Zanuck repenti, à Fred Astaire qui voit en elle une partenaire fétiche le temps de deux grands succès musicaux : L' Amour vient en dansant et O toi ma charmante. A 23 ans à peine, l'ex apprentie danseuse tient l'affiche aux côtés de son idole et devient une vedette internationale. Au même titre que la sensuelle Betty Grable, Rita Hayworth s?impose en pleine seconde guerre mondiale comme la pin-up préférée des GI américains, immortalisée par le célèbre "Life Magazine".
Un magazine que feuillètera un certain Orson Welles, à son tour immédiatement séduit par le charme de l'actrice qu'il désire à tout prix rencontrer. Désorientée par son récent divorce d'un Edward Judson devenu maladivement violent et surprise de susciter l'intérêt de l'auteur de Citizen Kane, Rita Hayworth finira par céder à ses avances. Une idylle passionnée, un mariage à la sauvette et une petite Rebecca plus tard, "la belle et le génie" s?imposent comme le couple phare d'Hollywood, au grand dam d'un Harry Cohn frustré et jaloux, rappelant sans cesse Rita aux exigences de son contrat avec la Columbia. En 1947, année de son mariage avec Orson Welles, la danseuse hors pair retrouve les bras de Gene Kelly et la caméra de Charles Vidor pour la comédie musicale La Reine de Broadway. Des retrouvailles fécondes pour ce film à succès qui annonce déjà Gilda, apothéose de la collaboration entre l'actrice et son réalisateur. Dans ce film noir d'anthologie porté également par le désormais familier Glenn Ford, Rita Hayworth incarne la femme fatale par excellence, effrontée et inoubliable dans une scène légendaire au cours de laquelle elle ôte de façon suggestive un gant noir sur le célèbre air "Put the blame on mame". Une image érotique qui lui collera à la peau toute sa vie : « Les hommes s?endorment avec Gilda et se réveillent avec moi », constatera-t-elle amèrement. En 1946, si ses finances et sa vie professionnelle s?envolent, (elle crée sa propre société de production, la Beckworth Corporation Production, association des noms Becky diminutif de Rebecca sa fille et Hayworth), sa vie privée bat de l'aile, douloureusement marquée par les escapades trop nombreuses de son mari et par ses propres crises de jalousie.
C?est en outre en pleine instance de divorce qu'Orson Welles offrira à Rita Hayworth le rôle le plus dramatique, le plus riche et le plus complexe de sa vie. Désireux de démythifier l'icône tout en réglant ses comptes avec l'univers d'illusion hollywoodien, le cinéaste coupe et teint en blond platine la célèbre chevelure flamboyante de la star pour les besoins de La Dame de Shanghai. Un pari osé pour un chef d'?uvre de technicité qui n'évitera pas le désastre financier, sonnant en même temps la fin de l'union prospère du couple glamour. Très vite, fuyant Hollywood et sa déception, Rita se consolera dans les bras de son futur époux, le prince Ali Khan, dont elle aura une seconde fille, Yasmine. Un amour rêvé mais de courte durée, abîmé par la polygamie de son mari et sanctionné là encore par un troisième divorce.
De retour sur les plateaux hollywoodiens quatre ans plus tard, l'actrice tentera en vain de renouer avec le succès de Gilda dans L' Affaire de Trinidad (1952) qu'elle produit et joue aux côtés du toujours fidèle Glenn Ford, « un homme merveilleux, le seul peut-être qui aurait été le mari idéal ». Après avoir abordé le genre biblique et encore une fois imposé ses talents de danseuse dans l'extravagant Salomé, elle rejoue les tentatrices dans Miss Sadie Thompson, rôle-titre déjà tenu par Gloria Swanson et Joan Crawford. Mais le temps a passé et malgré elle, Rita Hayworth connait une traversée du désert, Hollywood ne lui proposant plus que des rôles de femmes vieillissantes (L' Enfer des tropiques ou Tables séparées), ombres d'elles-mêmes et de leurs anciens succès. C?est l'époque du triomphe de Marilyn Monroe ou encore de Kim Novak, nouvelle étoile montante de la Columbia. C?est d'ailleurs auprès de cette dernière et de son ami Frank Sinatra que Rita jouera les femmes matures dans La Blonde ou la rousse.
Ternie, la réputation de l'actrice l'est en grande partie à cause de sa privée mouvementée, faite de violence et de conflits perpétuels, d'un quatrième mariage raté avec Dick Haymes un chanteur trouble et intéressé puis d'un cinquième avec le producteur, James Hill, tout aussi usurpateur. Si la star offre encore de beaux moments au cinéma aux côtés de Robert Mitchum dans L' Enfer des tropiques ou de John Wayne dans Le Plus Grand Cirque du monde, son déclin s?amorce à partir des années 60 avec un penchant de plus en plus prégnant pour l'alcool et les prémisses de la maladie d'Alzheimer qui dévorent peu à peu sa mémoire. Quinze ans après La Colère de dieu (1971), son dernier western, aux côtés de son ami Mitchum, "la déesse de l'amour" sera délivrée par la mort, à qui elle ne confiera aucun regret ni remord. "Si c'était à refaire, je referais tout exactement pareil. Si je pouvais recommencer ma vie, je n'y changerais rien, même si mon existence n'a pas été rose tous les jours. (...) Oui, si c'était à refaire, je voudrais tout revivre de la même manière, depuis mes débuts au cinéma jusqu'à mes plus grands succès».
Aussi malléable et soumise à la ville que déterminée et sensuelle à l'écran, l'icône Rita Hayworth impose encore des années après sa disparition, le mystère et l'ambiguïté d'une personnalité à part, à la fois naturelle et sophistiquée.
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